Fables basse-cour

Fables de La Fontaine

 

LA POULE AUX ŒUFS D'OR

   L'Avarice  perd tout en voulant tout gagner.
            Je ne veux  pour le témoigner
  Que celui  dont la Poule, à ce que dit la fable,
            Pondait tous les jours un œuf d'or.
  Il crut que dans son corps elle avait un trésor.
  Il la tua, l'ouvrit, et la trouva semblable
  A celles dont les œufs ne lui rapportaient rien,
  S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien.
            Belle leçon pour les gens chiches :
  Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus
  Qui du soir au matin sont pauvres devenus
            Pour vouloir trop tôt être riches ?  

Jean De La Fontaine

 

LES DEUX COQS

Deux Coqs vivaient en paix ; une Poule survint,
Et voilà la guerre allumée.
Amour, tu perdis Troie  ; et c'est de toi que vint
Cette querelle envenimée,
Où du sang des Dieux même on vit le Xanthe  teint.
Longtemps entre nos Coqs le combat se maintint :
Le bruit s'en répandit par tout le voisinage.
La gent qui porte crête au spectacle accourut.
Plus d'une Hélène au beau plumage
Fut le prix du vainqueur ; le vaincu disparut.
Il alla se cacher au fond de sa retraite,
Pleura sa gloire et ses amours,
Ses amours qu'un rival tout fier de sa défaite
Possédait à ses yeux. Il voyait tous les jours
Cet objet rallumer sa haine et son courage.
Il aiguisait son bec, battait l'air et ses flancs,
Et s'exerçant contre les vents
S'armait d'une jalouse rage.
Il n'en eut pas besoin. Son vainqueur sur les toits
S'alla percher, et chanter sa victoire.
Un Vautour entendit sa voix :
Adieu les amours et la gloire.
Tout cet orgueil périt sous l'ongle du Vautour.
Enfin par un fatal retour
Son rival autour de la Poule
S'en revint faire le coquet :
Je laisse à penser quel caquet,
Car il eut des femmes en foule.
La Fortune se plaît à faire de ces coups ;
Tout vainqueur insolent à sa perte travaille.
Défions-nous du sort, et prenons garde à nous
Après le gain d'une bataille.

Jean De La Fontaine

 

Le Coq et le Renard

Sur la branche d'un arbre était en sentinelle
Un vieux Coq adroit et matois .
Frère, dit un Renard adoucissant sa voix,
Nous ne sommes plus en querelle
Paix générale cette fois.
Je viens te l'annoncer ; descends que je t'embrasse  ;
Ne me retarde point, de grâce :
Je dois faire aujourd'hui vingt postes sans manquer
Les tiens et toi pouvez vaquer,
ans ns nulle crainte à vos affaires :
Nous vous y servirons en frères.
Faites-en les feux dès ce soir.
Et cependant, viens recevoirLe baiser d'amour fraternelle
Ami, reprit le Coq, je ne pouvais jamais
Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle
Que celle
   De cette paix.
Et ce m'est une double joie
De la tenir de toi. Je vois deux Lévriers,
Qui, je m'assure, sont courriers
Que pour ce sujet on envoie.
Ils vont vite, et seront dans un moment à nous.
Je descends : nous pourrons nous entre-baiser tous.
Adieu, dit le Renard, ma traite est longue à faire,
Nous nous réjouirons du succès de l'affaire
Une autre fois. Le Galand aussitôt
Tire ses grègues , gagne au haut ,
Mal content de son stratagème ;
Et notre vieux Coq en soi-même
Se mit à rire de sa peur

Car c'est double plaisir de tromper le trompeur
 
Jean De La Fontaine

 

LES DEUX PIGEONS

Deux Pigeons s'aimaient d'amour tendre.
            L'un d'eux s'ennuyant au logis
            Fut assez fou pour entreprendre
            Un voyage en lointain pays.
            L'autre lui dit : Qu'allez-vous faire?
            Voulez-vous quitter votre frère ?
            L'absence est le plus grand des maux :
Non pas pour vous, cruel.  Au moins que les travaux,
            Les dangers, les soins  du voyage,
            Changent un peu votre courage.
Encore si la saison s'avançait davantage !
Attendez les zéphyrs. Qui vous presse ? Un Corbeau
Tout à l'heure annonçait malheur à quelque Oiseau.
Je ne songerai  plus que rencontre funeste,
Que Faucons, que réseaux . Hélas, dirai-je, il pleut
            Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut,
            Bon soupé, bon gîte, et le reste ? 
            Ce discours ébranla le coeur
            De notre imprudent voyageur ;
Mais le désir de voir et l'humeur inquiète
L'emportèrent enfin. Il dit : Ne pleurez point :
Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite ;
Je reviendrai dans peu conter de point en point
            Mes aventures à mon frère.
Je le désennuierai : quiconque ne voit guère
N'a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint
            Vous sera d'un plaisir extrême.
Je dirai : J'étais là ; telle chose m'avint  ;
            Vous y croirez être vous-même.
A ces mots en pleurant ils se dirent adieu.
Le voyageur s'éloigne ; et voilà qu'un nuage
L'oblige de chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s'offrit, tel encor que l'orage
Maltraita le Pigeon en dépit du feuillage.
L'air devenu serein, il part tout morfondu,
Sèche du mieux qu'il peut son corps chargé de pluie,
Dans un champ à l'écart voit du blé répandu,
Voit un Pigeon auprès : cela lui donne envie :
Il y vole, il est pris : ce blé couvrait d'un las 
            Les menteurs et traîtres appas.
Le las était usé : si bien que de son aile,
De ses pieds, de son bec, l'oiseau le rompt enfin.
Quelque plume y périt : et le pis du destin
Fut qu'un certain vautour à la serre cruelle,
Vit notre malheureux qui, traînant la ficelle
Et les morceaux du las qui l'avaient attrapé,
            Semblait un forçat échappé.
Le Vautour s'en allait le lier, quand des nues
Fond à son tour un aigle aux ailes étendues.
Le Pigeon profita du conflit des voleurs,
S'envola, s'abattit auprès d'une masure,
            Crut, pour ce coup, que ses malheurs
            Finiraient par cette aventure ;
Mais un fripon d'enfant, cet âge est sans pitié
Prit sa fronde, et, du coup, tua plus d'à moitié
            La Volatile  malheureuse,
       Qui, maudissant sa curiosité,
            Traînant l'aile et tirant le pié,
            Demi-morte et demi-boiteuse,
            Droit au logis s'en retourna :
            Que bien, que mal  elle arriva
            Sans autre aventure fâcheuse.
Voilà nos gens rejoints ; et je laisse à juger
De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines.
Amants, heureux amants , voulez-vous voyager?
            Que ce soit aux rives prochaines ;
Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau,
            Toujours divers, toujours nouveau ;
Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste.
J'ai quelquefois aimé : je n'aurais pas alors
            Contre le Louvre et ses trésors,
Contre le firmament et sa voûte céleste,
            Changé les bois, changé les lieux
Honorés par les pas, éclairés par les yeux
            De l'aimable et jeune bergère
            Pour qui, sous le fils de Cythère ,
Je servis, engagé par mes premiers serments.
Hélas! Quand reviendront de semblables moments?
Faut-il que tant d'objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète?
Ah! si mon coeur osait encor se renflammer!
Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête?
            Ai-je passé le temps d'aimer? 
 
Jean De La Fontaine
 
Le paon se plaignant à Junon
 

Le Paon se plaignait à Junon :
Déesse, disait-il, ce n’est pas sans raison
Que je me plains, que je murmure ;
Le chant dont vous m’avez fait don
Déplaît à toute la Nature :
Au lieu qu’un Rossignol, chétive créature,
Forme des sons aussi doux qu’éclatants ;
Est lui seul l’honneur du Printemps.
Junon répondit en colère :
Oiseau jaloux, et qui devrais te taire,
Est-ce à toi d’envier la voix du Rossignol ?
Toi que l’on voit porter à l’entour de ton col
Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies,
Qui te panades, qui déploies
Une si riche queue, et qui semble à nos yeux
La Boutique d’un Lapidaire ?
Est-il quelque oiseau sous les Cieux
Plus que toi capable de plaire ?
Tout animal n’a pas toutes propriétés ;
Nous vous avons donné diverses qualités,
Les uns ont la grandeur et la force en partage ;
Le Faucon est léger, l’Aigle plein de courage ;
Le Corbeau sert pour le présage ;
La Corneille avertit des malheurs à venir ;
Tous sont contents de leur ramage.
Cesse donc de te plaindre, ou bien, pour te punir,
Je t’ôterai ton plumage.

Jean De La Fontaine

 

 

Fable d'Esope ( écrivain grec qui a vécu vers la fin du VII siècle av. J.-C. et le début du VI siècle)

 

 La femme et la poule.


Une veuve avait une poule qui lui pondait un oeuf par jour. Elle se dit que si elle lui donnait plus de grain, sa poule pondrait deux fois par jour : aussi accrut-elle sa ration. Mais la poule devenue grasse ne put même plus pondre son œuf quotidien.
La fable fait voir qu'à convoiter plus que ce que l'on a, l'on perd même ce que l'on possède.